> Planète Rio+20 a apporté un franc soutien à la production et à la consommation durables
> Entretien
Etienne Dubuis RIO DE JANEIRO (Le Temps, vendredi 22 juin 2012 page 6)
Arab Hoballah peut se réjouir. Si la déclaration du sommet de Rio+ 20 sur le développement durable reste très prudente, elle encourage clairement son action à la tête du Service consommation et production durables du Programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE). Elle dit même "adopter" le plan d'action sur dix ans élaboré par son institution. Or, c'est la seule fois que ce document d'une quarantaine de pages utilise ce verbe... Comment pareil succès a-t-il été possible? Le haut fonctionnaire, Libanais d'origine, décrit son domaine et sa méthode.
Le Temps: D'où vient cet effort onusien en faveur de la production et de la consommation durables?
Arab Hoballah: Le Sommet de la Terre qui s'est déroulé il y a dix ans à Johannesburg a placé ce champ d'activités parmi ses 5 priorités. Mais au début cela a été une belle cacophonie. Réunis autour d'une même table, les pays développés soulignaient qu'il n'était pas question pour eux de réduire leur train de vie, tandis que les pays en développement affirmaient qu'ils n'étaient pas disposés à adopter
ces idées de riches. Après deux ou trois ans de discussions, les uns et les autres se sont entendus pour adopter des principes communs et les appliquer de manière distincte selon leur situation.
- Quels sont ces principes?
- Il y a l'emploi d'une approche globale, qui tient compte de tout le cycle de vie des objets ou des services considérés. Il y a le découplage, à savoir la possibilité prouvée de fabriquer des produits de même qualité en utilisant moins de ressources.
Il y a enfin l'information aux consommateurs: il faut absolument expliquer aux gens qu'ils perdent de l'argent bêtement. La science le dit déjà, mais elle doit être vulgarisée plus abondamment.
[ecoglobe: Ceci n'est pas possible. Le "découplage" n'existe pas. Cet illusion est un des faux arguments des idéologues de la croissance.]
- Dans quel secteur avez-vous particulièrement avancé?
- Nous nous sommes beaucoup occupés de construction, en considérant que c'est là un domaine où nous pouvons réaliser d'importants progrès rapidement et facilement. Nous avons réuni un grand nombre de partenaires, publics et privés, villes et banques, scientifiques et associations d'ingénieurs et d'architectes, industriels du ciment, de l'acier et de la climatisation pour identifier les bonnes pratiques susceptibles d'être adoptées. Il est ressorti que nous pouvons réduire de 20 à 30% la consommation d'énergie des bâtiments existants avec de simples changements d'habitude et de 40% avec un peu d'investissement, Pour les bâtiments nouveaux, le surcoût de ces prestations est modeste, ce qui signifie qu'il peut être amorti en moins de cinq ans. Et c'est très rentable. La Chine va surprendre le monde à cet égard. Elle va beaucoup construire ces prochaines décennies, et elle a compris' que si elle s'y prenait mal elle se retrouverait avec une facture énergétique colossale, susceptible de nuire à sa puissance économique.
[ecoglobe: La Chine ne va pas surprendre. Ce pays est en train de surconsommer les ressources, comme nous.]
- Un grand pessimisme règne actuellement à propos du développement durable. ridée ne paraît pas mauvaise, mais sa mise en œuvre semble à beaucoup impossible..;
Ne parlez pas de développement durable. Parlez de ce qui peut être fait. Produire avec moins de ressources et moins de déchets est facile. Et je ne connais pas d'industriel assez stupide pour refuser d'utiliser moins de matières premières et moins d'énergie. Je ne connais pas non plus d'individu assez borné pour refuser de faire à sa propre échelle ce genre d'économies.
[ecoglobe: Exactement! C'est pouquoi le maximum d'efficacité matérielle a été atteint depuis longtemps. Pour la même raison il n'est pas du tout "facile" "d'utiliser moins de matière". C'est très difficile! Seulement dans le domaine de l'isolation énergétique des bâtiments des économies sont encore possibles.]
- Pourquoi, alors, ne changeons nous pas plus vite nos modes de production et de consommation?
- L'homme n'aime pas changer. Nous passons beaucoup de temps à expliquer aux gens que nous ne venons pas les ennuyer mais seulement leur faciliter la vie et leur éviter des ennuis, à eux et à leurs enfants. Il est relativement aisé de modifier les modes de de production, c'est une question d'ingénierie. Le plus difficile est de changer les modes de consommation, car nous entrons là dans le champ des habitudes personnelles et des cultures.
- Vous considérez pourtant que cette évolution est inéluctable?
- Oui. l'humanité prend de plus en, plus conscience qu'elle vit dans un monde fini. On peut discuter longtemps de ces limites, mais plus guère contester leur existence. Nous n'avons pas encore obtenu la masse critique qui permettrait d'aller franchement de l'avant, mais la situation évolue dans le bon sens. Il faut maintenant laisser du temps au temps. On ne change pas des habitudes aussi profondes d'une année à l'autre, pas même de cinq ans en cinq ans. C'est une affaire de générations.
[ecoglobe: Les gens aux pouvoir et les fonctionnaires ne comprennent pas encore que la croissance est le suicide planifié pour l'humanité. Ni ont ils compris l'urgence à cause du dépassement des limites et les pénuries immédiates des ressources.]
A-côtés
La guerre du papier
Faire une photocopie est pratiquement impossible dans la salle de presse de Rio+20.
de presse de Rio+20. Aucune imprimante n'est à la disposition des journalistes. Et le personnel chargé de l'aide aux médias prévient qu'il veut bien recevoir ce genre de demande, mais qu'il devra systématiquement en référer à une autorité supérieure, en l'occurrence absente. Bref, les exceptions seront rares. C'est que le Sommet de la Terre est officiellement paper free, libéré du papier. On est pour la préservation des ressources ou on ne l'est pas.
L'affaire se complique lorsque le quidam cherche un plan du centre de conférence, histoire de s'orienter dans le labyrinthe des pavillons et des bureaux. Les organisateurs ne distribuent pas ce genre de document, toujours dans l'idée de limiter la consommation de papier. Le développement durable vaut bien qu'on perde du temps et qu'on se fatigue pour lui.
Il n'est pas inutile d'insister, cependant. Une charmante réceptionniste conseille d'obtenir le plan auprès d'une délégation et de le photocopier discrètement en ville. Puis, devant la mine défaite de son interlocuteur, elle finit par en sortir un exemplaire d'un tiroir et le tendre en soufflant: "Surtout, ne dites à personne que je vous l'ai donné!" E.D.
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