Pas de cigarette avant 18 ans ? <Une loi inapplicable et absurde>

PROJET

Un ado sur quatre fume déjà à 15 ans. Une interdiction formelle serait contre-productive.

PASCALE ZIMMERMANN

Pour lutter contre la fumée chez les jeunes, la Confédération envisage d'interdire la cigarette aux moins de 18 ans. Le projet fait partie du Programme national 2001-2005 de prévention du tabagisme. Il sera soumis à consultation, mais on peut d'ores et déjà constater qu'il n’est pas du goût de tout le monde.

"Je suis étonné par cette approche, qui se situe dans l'esprit de la tolérance zéro - très américain, mais peu adéquat chez nous", constate Gérard Devanthéry, directeur du foyer genevois pour jeunes en difficultés le Chalet Savigny. "Il s'agit plus d'un argument politique que d'une mesure sociale. C'est une forme de discours sécuritaire qui ne saurait manquer de provoquer un malaise."

Car à quoi bon interdire si l'on est incapable de faire respecter l'interdiction? "Cette mesure est inapplicable. Elle ne servirait qu'à ridiculiser la loi et serait catastrophique d'un point de vue pédagogique. Quelles sanctions appliquerait-on?" s'interroge l'éducateur, alors même que l'on ne parvient pas à faire respecter la législation actuelle, qui prescrit de ne pas vendre de cigarettes aux moins de 16 ans. "Il est pourtant beaucoup plus simple d'empêcher les très jeunes de fumer,' car ils ne sortent pas encore seuls le soir. Mais entre 16 et 18 ans, comment faire?"

Un adolescent n'est pas censé avoir la permission d'acheter des clopes. Ils sont cependant de plus en plus nombreux à fumer à 15 ans, voire carrément plus tôt (voir infographie). .

La plupart des professionnels de la lutte antitabac considèrent la mesure envisagée comme une incohérence, si elle n'est pas assortie d'autres 'moyens: l’terdiction pure et simple de la publicité, augmentation significative du prix du paquet et mise à disposition de moyens financiers plus importants pour la prévention ét l'aide au sevrage", énumère. lean-Charles Rielle, médecin responsable. du Cipret-Genève. "Sans cette politique globale, interdire aux jeunes de fumer avant 18 ans est une directive prohibitive absurde."

Philippe Granget, éducateur pour la santé travaIllant dans les écoles genevoises, nuance toutefois ce propos: "Ne pas permettre aux adolescents de fumer leur montrerait que l'on se soucie de leur santé. Le signal serait positif. Il aurait aussi le mérite d'aligner la cigarette sur l'alcool et ce qui est prévu pour le cannabis." Il dénonce l'attitude générale face aux adolescents: "Leur place dans la société est celle de consommateurs. On les y encourage forte ment. Alors ils. achètent jeux vidéo, vêtements de marques et... cigarettes."

Les publicités ciblant les jeunes sont légion et font mouche à coup sûr. "La mesure projetée semble plaire aux cigarettiers. Qu'est-ce que ça va leur rapporter?" s'interroge Gérard Devanthéry. Une meilleure image, à coup sûr. "Nous faisons tout notre possible pour que les mineurs ne fument pas, via nos campagnes de sensibilisation, affirmait là semaine dernière le président de Philip Morris International, John Nelson, dans 24 Heure. Jean-Charles Rielle riposte en dénonçant vertement le nouveau message des campagnes antitabac financées par les fabricants de cigarettes: "Ces spots qui montrent des jeunes merveilleux et parfaits ne fumant pas affirment que "fumer est un acte adulte. C’est précisement ce que veulent les ados: faire comme les adultes. Le message est pervers."

Si l’axe de prévention du tabagisme chez les jeunes est maintenu, notamment en incitant les écoles secondaires à être des espaces non-fumeurs, l'accent est mis désormais sur l'aide au sevrage. Un site intemet en cours d'élaboration à Genève devrait être opérationnel au mois de mai pour informer les adolescents et leur donner des conseils.

Source : Site internet, 26 février 2002