![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() |
|
Texte: Anne-Sylvie Sprenger Les femmes sont toutes hystériques, jalouses et nulles en maths. Pis encore: ce sont des manipulatrices et des salopes en puissance. Shocking? Las! Qui n’a jamais été confronté à cette qualification aussi sommaire qu’infondée? Quelle femme peut affirmer n’avoir jamais plié sous le poids de ces clichés pérennes? Clichés certes issus des rangs du machisme primaire, mais que véhiculent avec la même intensité les deux sexes. Quelle force d’inertie collective les rend, au détour du XXIe siècle, encore et toujours si vivaces? Alors?... C’est décidé! Ces dix assertions phallocrates qui font chuter notre indice de zénitude doivent disparaître de notre environnement sonore. Point à la ligne. Cliché 1 Toutes déboussolées Selon l’imaginaire collectif, les femmes sont dépourvues de sens de l’orientation et ne savent pas lire une carte. Des affirmations contredites par la neurobiologie: les hommes en effet ne bénéficient d’aucune compétence spécifique qui échapperait à leurs consœurs humaines (et vice versa). Si dame Nature n’a rien à faire dans l’histoire, le contexte social et culturel, lui, y est pour beaucoup. "De nombreux travaux montrent que filles et garçons ne reçoivent pas la même éducation, analyse Muriel Salle, historienne de la médecine et coauteur de l’ouvrage A l’école des stéréotypes, comprendre et déconstruire (Ed. L’Harmattan, 2013). L’espace dans lequel les petites filles évoluent est plus restreint, et ce dès leur plus tendre enfance. Or, comme toute compétence cognitive, le sens de l’orientation est quelque chose qui s’acquiert. Si on n’apprend pas à s’orienter dans l’espace, on n’a pas le sens de l’orientation!" Cliché 2 Toutes hystériques Ah, la bonne vieille hystérie! Rares sont les femmes qui ne s’en sont jamais vues accusées. Apparu dans le discours médical du XIXe siècle pour qualifier une affection psychologique, ce terme s’est depuis travesti en insulte suprême - sexiste par excellence. Parce qu’il est dérivé du mot utérus, il était commode d’en faire l’apanage exclusif des femmes. Et ce même si, dès le XIXe, de nombreux travaux avaient été réalisés sur des cas d’hystérie masculine, rappelle Muriel Salle. Mais voilà, "l’hystérie était une manière efficace de renvoyer les femmes à leur supposée faiblesse. Règles, ménopause, grossesse, rapports sexuels ou abstinence: tout est bon pour justifier par cette représentation abusive du corps l’exclusion des femmes - de la sphère politique, économique, académique ou autres." Cliché 3 Toutes jalouses Les travaux rassemblés sous la direction d’Ayala Malach Pines dans La jalousie amoureuse établissent clairement que "ce sentiment s’accorde aussi bien au masculin q'au féminin". Une différence n'apparaît qu’au niveau de son expression: "Les hommes se fâchent, les femmes dépriment." Pourtant, la croyance en ce si terrifiant démon que serait la jalousie féminine reste fortement ancrée dans les esprits. Coauteure de Battements d'ailes - clichés féminins/masculins aujourd’hui (Ed. Les Cahiers de l’Egaré, 2015), l’historienne et sociologue Dominique Loiseau invite à comprendre cette persistance à la lecture de "ce qui a longtemps été la norme: pour les hommes le droit au désir, aux "aventures"; pour les femmes la soumission au sein du foyer, la résignation devant les frasques maritales et la non-reconnaissance de leur désir propre". En bref, nous serions jalouses parce que nous ne pouvons idéologiquement pas être du côté... des infidèles! Cliché 4 Toutes dépensières "Ce cliché est étonnant, quand on sait que la gestion du budget familial a été conquise au XIXe par celles qui étaient les "ménagères" pour contrer les dépenses des maris aux cafés!", ironise Dominique Loiseau. Et d’exposer que, "du fait de cette responsabilité, beaucoup de femmes du milieu populaire étaient en sous-alimentation chronique car privilégiant les repas du mari et des enfants". Muriel Salle, quant à elle, souligne la dose de mauvaise foi masculine nichée à l’intérieur de ce stéréotype qui a "toujours d’abord pour fonction de rappeler que, pendant longtemps, les femmes ont été dépendantes financièrement". Et pour cause: n’étaient-elles pas reléguées aux tâches domestiques? L’argent dépensé était donc le fruit du seul et dur labeur de l’homme de la maison. Chaque sou dépensé par madame relevait ainsi d’une injustice: elle ne l’avait pas gagné, mais en avait profité. Si les temps ont changé, "ce cliché relève aussi d’une belle injonction paradoxale poursuit l’historienne. Les incitations à des dépenses sont nombreuses en direction des femmes - il faut plaire, se maquiller s’habiller etc. - et, en même temps, on les leur reproche!" Cliché 5 Toutes des "ch..." Les femmes seraient donc construites sur un même modèle: râleuses, impatientes exigeantes, enquiquineuses. D’éternelles insatisfaites, donc. "Faut-il s’en étonner?, rétorque Muriel Salle. Placées en situation d'infériorité, de minorité, de domination et de dépendances les femmes, évidemment, en sont souvent insatisfaites." On les comprend! Et Dominique Loiseau de confirmer: râler, "n’est-ce pas ce qui reste, quand on n’a pas le pouvoir?" "Ce stéréotype est également nourri par l’idée que les humeurs féminines sont cycliques, que leurs règles, leurs hormones influent sur leurs états d’âme", reprend Muriel Salle l’historienne. Sur ce point, la neurobiologiste Catherine Vidai répond avec fermeté: "Chez l’être humain, aucun instinct ne s’exprime à l’état brut comme chez les animaux. Prenez l’exemple de la faim, qui est un instinct de base, contrôlé par les gênes et les hormones. L’être humain peut pourtant décider de faire une grève de la faim pour des idées politiques. C’est la preuve qu’il ne dépend pas de ses hormones, qu’il possède ce qu’on appelle le libre arbitre." Et ce qu’il soit homme ou femme - faut-il encore le préciser? Cliché 6 Toutes maniaques Sur ce thème encore, Catherine Vidal est claire: aucune étude scientifique reconnue n’a pu démontrer l’existence, dans le cerveau humain, de différences entre hommes et femmes (lire l’interview p. 19). Les capacités ou penchants propres à chacun ne dépendent donc en rien de son genre. Mais alors, d’où vient ce préjugé? Pas besoin d’être amateur de polars pour être tenté de se demander à qui profite... le stéréotype. "D’après l’enquête Emploi du temps 2009-2010 de l’Insee (institut national de la statistique, en France, ndlr), les femmes consacrent 3 h 26 par jour aux tâches domestiques contre 2 h pour les hommes, indique Muriel Salle. Prétendre que les femmes sont maniaques est doublement efficace: cela justifie à la fois le temps qu’elles passent à ces tâches domestiques et le désengagement conjoint des hommes." D’un point de vue mâle tendance cossard, il serait donc bien dommage de s’en priver...
|